U . P . C

Union des Populations du Cameroun

L'AME  IMMORTELLE  DU PEUPLE  CAMEROUNAIS

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La mort programmée de

Ruben Um Nyobé 

 

L'annonce d'importants ralliements en cours, dans la zone à pacifier, a permis à Xavier Torre, le Haussaire, de soutenir, auprès du gouvernement français à la recherche d'un projet de constitution pour la Ve République, la résolution de l'Assemblée législative du Cameroun, votée le 12 juin 1958 en faveur de l'indépendance et de la réunification du Cameroun, et qui demande au gouvernement de la République française de modifier le statut du Cameroun de façon à :

 

«Reconnaître à l'État du Cameroun sa liberté d'option pour l'indépendance au terme de la tutelle. Transférer à l'État du Cameroun toutes compétences relatives à la

gestion des affaires internes. Maintenir la tutelle de l'ONU. Selon ces lignes générales, la résolution invite le gouvernement camerounais à négocier le nouveau statut du Cameroun qui lui sera soumis et qui doit constituer la période de transition vers l'indépendance. L'Alcam confirme les déclarations du Premier ministre chef du gouvernement du Cameroun, sur la volonté des Camerounais de voir réunifiés les deux Cameroun. L'Alcam fonde l'espoir que le Cameroun, une fois indépendant, puisse s'associer amicalement et librement à la France dans l'intérêt commun des deux pays ».

 

À Paris, Jacques Foccart, conseiller du Général de Gaulle pour les Affaires africaines, prend acte de cette résolution pour lui sans surprise : il la connaît bien, elle est un peu sienne. On sait que le Haut-commissaire contrôle bien la situation sur place et que le bon bilan de « la Coloniale », de cette dernière semaine en Sanaga militaire, va mettre une fin rapide à la rébellion bassa et conforter, de ce fait, le gouvernement Ahidjo. Aussi pousse-t-il le gouvernement français à répondre rapidement et favorablement à la résolution de l’Alcam : ce que fait le Général de Gaulle, le 12 juillet 1958, au nom de la France.                    .

Pour tous ceux de l'UPC, l'espérance d'une compréhension attendue n'a vraiment duré que le temps d'une embellie : une attente fatale pour beaucoup d'entre eux, mais que 1 armée a mis à profit pour boucler le quadrillage des zones maintenant connues et classées parmi les irréductibles qu'il faut quand même réduire.

De nouveau, sitôt passé le pont, je vois les sbires du chef de canton qui filtrent, fouillent, rançonnent. C'est un constat attristant que je fais, de visu, à chaque poste de contrôle aux mains de groupes incontrôlés, se réclamant tous du gouvernement Ahidjo mais sous le couvert de notre armée. À présent, à chaque village regroupé sur les bords de la route d'Éséka et situé au départ d'un layon conduisant vers des zones d'irréductibles, il y a un bambou en travers de la route et des hommes armés de lances et de machettes qui cherchent quelques subsides et ennuient les rares passagers. À mon arrêt forcé à Makaï, je vois sur la grande place de la mission une animation toute militaire au P.C. de la compagnie. Une section en armes se forme en partance pour le « crapahut » en brousse et pour assurer la relève des postes avancés qui, progressivement, s'installent toujours plus loin et plus haut dans le massif forestier. À la tête de ses hommes, je remarque encore une fois que le chef de section est métis. J'avais déjà fait pareille observation lorsque, après les événements sanglants de mai 1955, le Haut-commissaire avait demandé aux troupes coloniales de rétablir l'ordre, et de pourchasser en brousse les nationalistes. À Makaï, il y a aussi un arrêt au bord de la route, au pied du talus sous la case de Makon Luc, le villageois barbu, collaborateur zélé de l'armée et pisteur attitré. Makon Luc, encore un qui profite de la présence de nos troupes pour satisfaire à bon compte 5e vieilles rancunes personnelles contre les responsables du maquis local. Aussi, a-t-il fait d'Um Nyobé son ennemi juré, et décidé de ne se raser que le jour de la mort du leader nationaliste.

Sur l'immense forêt qui va du littoral jusqu'aux abords de Yaoundé, les tornades zèbrent le paysage, éclatent et noient les chantiers. Avec le mois de juillet, c'est l'hivernage qui s'installe et qui nous force au repli vers une contrée plus accessible, plus centrale aussi, étant donné nos chantiers en cours dans la forêt bassa.

 

À une soixantaine de kilomètres de Nkongkwala, et situé à mi-hemin de la ville d'Éséka qui est le chef-lieu avec son poste à essence et sa gare, il n'y a que Bot Makak qui peut loger nos hommes astreints à la surveillance des ouvrages en construction et qui, par roulement, vont pouvoir profiter du chemin de fer pour prendre leurs congés « au pays ». C'est là que nous allons établir nos quartiers d'hiver.

  Bot Makak, c'est au carrefour de la piste d'Egba une vingtaine de cases autour d'une place rectangulaire où trône la demeure du chef supérieur abattu le lundi de Pâques et qu'occupe à présent le jeune chef de Ntouleng. À l'entrée, près de la route qui va au chef-lieu, une seule boutique, sombre et basse, comme isolée. À l'autre bout, c'est la mission catholique de l'abbé Sognyemb Mathias, supérieur d'une mission qu'il a prise en charge lorsque les Pères blancs ont été mobilisés en août 1939. Nous avons trouvé sans peine la possibilité de nous loger chez l'habitant, juste avant que les pluies de juillet ne brouillent définitivement le paysage. J'ai mis nos installations à l'entrée de la piste, près du marigot, là où le gros Mathias tient sa boutique grillagée et son échoppe buvette, juste en face des quartiers regroupés derrière les hautes palissades qui rappellent à tous les arrivants que la contrée est en cours de pacification.

 

Bot Makak, c'est la nouvelle gendarmerie avec un effectif étoffé et, en face du poste, sur la route de Bafia, la barrière toujours fermée, gardée par un gendarme, oblige un arrêt à tous les passants. Il vient aussi d'arriver, en renfort de surveillance, un peloton de la Garde camerounaise sous les ordres du sergent-chef Prat. Tous ces hommes en armes vont aider l'armée à boucler le quadrilatère fortement soupçonné d'être un refuge d'irréductibles entre Boumnyébel et Matomb, Egba et Bot Makak. Des gardes qui montent aussitôt leurs baraquements dans la concession des gendarmes.

 

Dans toute la Sanaga militaire, les chefs de canton, les plus engagés aux côtés des Autorités coloniales pour le gouvernement Ahidjo, veulent l'éradication des idées du leader nationaliste et la mort de tous les hommes se réclamant de l'UPC et particulièrement celle d'Um Nyobé... surtout celle d'Um Nyobé. Tous ces « collabos » savent que des dirigeants de l'UPC extérieure viennent de quitter Le Caire et se rapprochent des frontières du Tchad et de l'Oubangui, au Soudan, comme si, pris de regrets tardifs,

ces dirigeants venaient rappeler à ceux qui luttent qu'ils ne sont pas abandonnés.Mais voilà qu'une rumeur venue du chef-lieu enfle démesurément, s'étale partout, s'insinue dans les esprits : « une forte prime sera donnée pour la capture d'Um Nyobé ».

 

Des millions ! « même trois même deux ». On ne sait pas, on ne sait plus. Et même, on ne veut pas savoir pourquoi : mais le fait est là. Les Autorités n'ont rien trouvé de mieux que l'argent pour mettre à bas le leader nationaliste. Je comprends aussitôt, comme bon nombre de villageois ici, que cette prime est un appel à la trahison pour un assassinat programmé. Cette prime, dont le montant n'est pas précisé mais que la rumeur dit être « vraiment trop » ne peut être qu'une prime d'abattage. La capture d'un homme qui a fait de la forêt équatoriale camerounaise son territoire est impossible : surtout si cet homme est dans sa forêt au milieu des siens. Sans cesse pour-chassé dans le quadrillage serré mis en place par l'armée, il connaît nombre de refuges inviolables... sauf par la traîtrise d'un très proche qui le mènera à une mort violente. L'abbé Sognyemb Mathias m'a fait porter un mot : la batterie de la 2 CV est déchargée et le réservoir est vide, la route d'accès à la mission est ravinée et les fossés d'écoulement sont bouchés, la place de l'église n'est qu'une longue mare qu'il faut niveler pour les Fêtes du 15 août : comment faire ? Pour moi, la solution

de tous les tracas du gros abbé est simple et vient du ciel : « Priez pour deux jours sans pluie, le reste est matériel »... et le miracle s'accomplit ! On approche de la fin d'août. Des torrents d'eau accompagnent chaque jour une aube sans fin et apportent la nuit sans crépuscule. Toutes les barrières de pluie sont fermées et seuls les véhicules légers roulent sur une latérite grasse et glissante. Les véhicules 4 x 4 de couleur bleu de la gendarmerie et les 4 x 4 couleur kaki de l'armée sont maîtres des rares routes et pistes. À cinquante kilomètres à la ronde, il n'y a qu'un 4x4 couleur jaune RAZEL, et ma femme et moi sommes les seuls civils européens de la contrée. L'hivernage, c'estpour nous deux la moitié du contrat de fait : un an de fait, un an à faire. C'est aussi, pour ma femme, le moment de penser enfin « coiffeur » pour une chevelure devenue rebelle, au fil des mois passés en brousse. Pour moi, c'est un travail de surveillance des travaux réalisés par l'entreprise dans la région pendant la saison sèche. C'est une pause après l'intense activité et l'énervement des mois de saison sèche, elle permet un regard plus lucide sur tout l'environnement et donne le temps d'analyser le moment présent.

    Le capitaine Haulin qui commande les « marsouins » de la compagnie de Makaï est bon marcheur. Sous une pluie battante et toujours à la tête de ses hommes, avec son chapeau de brousse, sa canne et son poncho, il parcourt inlassablement les layons du quadrillage qui, inexorablement, cément notre contrée mise sous haute surveillance depuis le début des ralliements qui viennent de se produire et qui ont déclenché des règlements de compte fratricides de la part d'individus incontrôlés. Sur toute la rive gauche de la Sanaga, c'est Joseph Dimala, le chef de canton qui se fait déjà appeler chef supérieur, qui mène la campagne de « réconciliation » avec l'appui de responsables upécistes de la section d'Éséka. Des ralliés qui viennent de rejoindre le camp du gouvernement sur ordre de Mayi Matip Théodore, le bras droit d'Um Nyobé, toujours avec lui dans le maquis. Ce fait permet à Dimala de s'entremettre de façon ambiguë dans les contrées qu'il a lui-même « pacifiées » à la tête de son groupe d'autodéfense. À présent, il force les hésitants au ralliement et les invite à sortir de brousse pour accepter les conditions du gouvernement Ahidjo.

    En toute confiance, ces upécistes viennent près des villages regroupés pour en parler avec des membres de leur famille. Vite dénoncés, ils sont raflés par l'armée et ne sont plus considérés comme ralliés.

    

Souvent, dans mes déplacements sur les 80 kilomètres qui séparent le chef-lieu et la Sanaga, en dehors des quartiers militaires, le 4 x 4 jaune est attendu. Sortant des hautes herbes, les « sissongos », ou de la forêt dense qui partout étouffe la route, un homme, mais le plus souvent une femme, agite une branche de palmiers pour attirer mon attention. À ses mimiques, je comprends et le mal et le médicament demandé : la main qui frotte le ventre, les deux mains qui enserrent la tête ou le doigt qui trace un trait sur les jambes ou sur le corps, ce qui veut dire soit élixir parégorique pour la diarrhée, soit nivaquine pour les crises de « palu », soit poudre d'exoseptoplix et sparadrap pour une blessure. Le contenu de ma trousse de secours, un minimum en cas de pépin en brousse, change ainsi de main ; mais quand je vois se heurter plusieurs fois les doigts unis de chaque main, ce qui signifie des besoins multipliés par dix, selon le nombre de heurts, je pense que ce n'est vraiment là, de ma part, qu'un peu de charité chrétienne envers des êtres humains prêts à mourir pour une cause qui me semble déjà perdue.

   

Au début de septembre, la surveillance qui pèse sur les regroupements et notamment sur les familles soupçonnées de ravitailler les maquis, est intense. Ces familles ne peuvent plus sortir des quartiers regroupés sans être aussitôt dénoncées. Pour moi, lors que je m'en vais faire mon ravitaillement en carburant et autres ingrédients vers la base de Douala, il ne m'est plus possible de sortir de la zone à pacifier sans un minimum de cinq arrêts aux barrières. À chaque contrôle, au volant du 4 x 4 jaune de l'entreprise, je dois subir une fouille en règle, sur moi-même, et à l'intérieur et à extérieur du véhicule, puis présenter les papiers des personnes à bord et jurer qu'elles travaillent bien à l'entreprise, et,

chaque fois, les fûts vides d'essence qui sont dans la remorque sont violemment secoués, et parfois même ouverts, comme si les Autorités avaient maintenant la crainte de voir s'échapper ainsi le leader de l'UPC. La semaine du 8 au 14 septembre 1958 vient de commencer par le bouclage de notre quadrilatère et par une activité fébrile d'hommes armés marchant en file indienne dans les layons. Tous sont à la recherche du grand maquis que les derniers renseignements obtenus dans les quartiers militaires situent dans notre contrée.

   

    C'est mardi qu'une patrouille du camp avancé de Libélingoy arrive à cerner dans la forêt du côté de Ndog Niend, à moins de 10 kilomètres au Nord-est du camp, un petit groupe d'upécistes armés de machettes, abat les hommes et fait une prisonnière. Un accrochage sans risque pour des militaires qui n'ont pas perdu un homme par mois depuis le début de la pacification (y compris les accidents de la route). La prisonnière est agent de liaison et l'interrogatoire est « poussé ». De plus, des membres de sa famille sont inquiétés  pour l'obliger à parler : c'est courant, inhumain, mais combien leStenant, à Njok Nkông, au P.C. de la zone à pacifier, tous les officiers savent qu'Um Nyobé n'est ni armé,ni gardé. Il choisit l'emplacement de ses maquis (même s'il en change souvent), toujours à une ou deux journées de marche autour de Boumnyébel et plutôt sur les hauteurs entre Pan Makak et Matomb Brousse. Même si la prisonnière, agent de liaison, n'a pas voulu « donner » le leader, les renseignements obtenus sont suffisants pour « situer » les déplacements que peuvent faire Um Nyobé, sa petite famille et le dernier carré fidèle qui l'accompagne : Daniel. son fils de 16 mois qu'il a surnommé « leader », sa concubine Ngo Njock Marie et Ruth la mère de cette dernière, les deux responsables du Secrétariat administratif-bureau de liaison (bA/BL) Mayi Matip Théodore et Yem Mback Pierre, et un cook.

   

Dans tout le massif forestier qui nous entoure, une multitude de marigots ont échancré le massif et tracé partout comme une toile d'araignée. Deux petites rivières, la Djouel et la Pougué assurent la collecte des eaux de tous ces chemins fluviaux venant du haut massif rocheux qui, à l'Est, entre Matomb et Egba, culmine à plus de 700 mètres, et c'est la Djouel, seule, qui jette toutes ces eaux dans les rapides de la Sanaga. Le leader est seul dans cette toile d'araignée que la délation effiloche S'il remonte le lit d'un marigot, ce n'est pas parce qu il a peur de laisser des traces, (il est le seul upéciste en brousse à être chaussé), les semelles de ses Pataugas sont lisses et la terre battue des layons est marquée par l'empreinte des innombrables passages de la troupe, elle aussi chaussée de Pataugas... en meilleur état. Non s'il se déplace dans ce véritable lacis ou, seul, un chef du maquis local peut retrouver les quelques cahutes basses et enfouies dans la végétation qui forment son camp de base, c est que depuis deux jours, les interrogatoires dans les campements militaires, et la délation parmi les ralliés, ont permis au P.C. du bataillon de monter une grande opération sur renseignements. Guidée par les pisteurs, toute la troupe est en alerte dans les layons du quadrilatère et détruit systématiquement les maquis dénoncés : un assaut qui porte la marque de la traîtrise d un très proche du leader nationaliste et qui le contraint à la fuite, de maquis en maquis, au plus profond de la forêt vers un refuge qu il espère plus sûr. Depuis deux jours, Um a mis sa vie et celle de ses proches entre les mains de vieux compagnons de lutte des premiers maquis de l'année 1955, des chefs de maquis qui découvrent un fugitif traqué qui tente d'échapper à son sort et à qui ils ne peuvent dresser, midi et soir, qu'un camp volant chez l'un ou chez l'autre, encore fidèle, pour le recevoir et le cacher. À pré-

sent, l'idéaliste d'une noble cause devenu tribun d'un parti du peuple, n'est plus, pour ce même peuple, qu'un proscrit en fuite qui redoute à présent sa condamnation à mort, par ses propres frères, dans son propre pays : un homme seul et déjà trahi.

 

    Dès la mise en place de la branche armée du parti, le « Comité national d'organisation (CNO) », à Mode, le 3 décembre 1956, Um Nyobé, qui n'était pas partisan d'une action violente, avait refusé une garde personnelle pour lui et pour le bureau politique.  Il estimait, ajuste raison, que le secret de ses déplacements serait mieux gardé par ses quelques compagnons et qu'il avait tout à craindre de la trahison d'un membre du CNO proche des ultras de l'UPC. De plus, son action politique, au sein même du parti et dans sa lutte contre un gouvernement mis en place et soutenu par les autorités coloniales, avait, comme principe, la recherche d'un dialogue avec ses détracteurs et une véritable concertation avec les comités de base : deux actions qu'il estimait ne pouvoir remplir qu'en homme libre de ses mouvements et sans armes. Cette semaine du 8 au 14 septembre 1958 se termine demain, un dimanche. Un dimanche qui sera pluvieux et bien de saison, comme aujourd'hui, samedi 13, où tout est gris sous la pluie. Toute la semaine, les chefs de canton aux ordres du gouvernement Ahidjo ont parcouru les villages regroupés et forcé les ralliements. Cette campagne qu'ils veulent de « réconciliation », ils la font en dehors des zones irréductibles auxquelles plus personne n'a accès et où tous les villages ont été rasés. Des zones où tout être humain est considéré comme un rebelle dangereux et traité comme tel. Ce sont les responsables upécistes de la section d'Éséka qui sont les plus virulents contre ceux qui refusent de rentrer au village. Ralliés avec l'assentiments de Mayi Matip Théodore, avec qui ils sont toujours en contact, ils font le jeu des « collabos » en trahissant sans vergogne les vieux compagnons des premiers maquis d'Um Nyobé.

 

    Sur notre quadrilatère, une chape de plomb s'est abattue. Plus de civils trottinant sur les bas-côtés d'une route glissante, évitant chaque fois de se trouver près d'une flaque d'eau au passage d'un 4 x 4 de l'armée. À partir du carrefour de Boumnyébel, la route de Bafia et celle de Yaoundé appartiennent aux militaires. C est un contrôle permanent qui ne permet sur ces routes qu'une maigre circulation et sème le trouble parmi les villageois de la contrée, lesquels redoutent cette attente qui s'installe et les paralyse Dans le quadrilatère, Um Nyobé et son petit groupe sont traqués par les pisteurs de la « Coloniale », bien renseignés sur

leurs déplacements successifs.

 

    Malmené par la troupe et ballotté (avec son groupe) par les chefs de maquis qui tentent de lui trouver un refuge sur, et brouillent les pistes derrière lui, le leader ne peut même pas arbitrer la lutte quotidienne qui dresse, l'un contre l'autre, ses deux secrétaires. Mayi Matip Théodore, qui veut sortir de brousse et rentrer dans la légalité, parce qu'il sait qu'il n'a rien à craindre et qu'il peut prétendre remplacer Um dans la légalité, et Yem Mback Pierre, qui comprend le coup fourré qui se prépare et juge qu'il faut résister plus longtemps et attendre de connaîtreles intentions personnelles du chef de gouvernement à leur égard.

 

    Ce samedi 13 septembre, après une marche matinale harassante, le petit groupe reprend des forces sous un abn de fortune en attendant un chef de maquis qui doit le conduire encore plus loin Depuis deux jours, il remonte les mangots vers l’Est et se trouve maintenant près du massif montagneux. Mais depuis les dernières arrestations parl'armée, les chefs upécistes sontconnus, et les maquis sont infiltrés par des ralliés ou des prisonniers « évadés » qui soutiennent la campagne de « réconciliation » en cours, et qui savent que Mayi Matip approuve cette campagne et l'a fait savoir. 

 

    Fils de grand sorcier et lui-même devin, Mayi Matip est l’aristocrate d'un monde ténébreux qui vit dans les profondeurs de la forêt Ses prédictions, dans les moments difficiles, sont attendues par son entourage, et au sein même du bureau politique ou son pouvoir occulte est craint. Depuis peu, Um Nyobé s est laissé initier à l'art qui consiste à matérialiser ses songes et à présent le leader se raccroche aussi à ces oracles, alors qu'il n'y a jamais cru. Dans la grisaille de ce samedi matin, les signes cabalistiques du fils de roi sont restés muets sous la pluie. Pour lui, ils augurent bien de la journée qui s'avance alors que le petit groupe reste dans l'attente du vieux chef de maquis qui, comme convenu, doit les cacher dans un nouveau refuge. Mais l'homme de confiance qui doit les conduire tarde ; aussi, chacun s'installe comme il peut et sans crainte, à l'entrée d'une excavation naturelle qui se dissimule sous une roche parmi la végétation, dans le clair-obscur que l'heure de midi arrache à la pénombre qui s'étend partout dans le sous-bois.           

     

      À Njok Nkong au P.C. du bataillon, toute la semaine on a  réuni et recoupé les derniers renseignements arrachés aux prisoniers et aux ralliés. Depuis deux jours, le capitaine de Makaï a  renforcé les postes avancés de Libélingoy et de Ndog Niend et tous ont reçu le renfort des pisteurs. chasseurs de pomes qui   connaissent bien les layons de brousse et les chemins de débardage des bois dans le massif montagneux culminant, vers l’Est a une journée de marche, entre Pan Makak et Matomb Brousse . Très tôt ce samedi matin, le branle-bas de combat est général dans la troupe. Officiers subalternes, sous-officiers du rang marsouins de la Métropole et de l'Empire, tous en armes, crapahutent dans les layons et remontent les marigots, guidés par des ralliés. des prisonniers, des civils. Tous marchent vers l’Est comme un  seul homme, comme quelqu'un qui connaît à l’ avance l’heure et  le lieu de son rendez-vous. Pourtant, ce samedi matin, ils n'ont pas d'ordres précis ces civils et ces militaires à qui on dit, depuis des mois, que la mort d'Um Nyobé peut mettre fin à la rébellion bassa et ramener  a paix en Sanaga militaire et le calme au Cameroun. Mais ce samedi matin, tous savent que c'est le dernier jour pour Um Nyobé : et tous d'y croire aussi. De toutes les sections qui convergent vers le centre du massif montagneux, c'est la section de Libélingoy, de la compagnie de Makaï, qui talonne de plus près le groupe de fugitifs : de trop près le vilain barbu de Makaï qui a juré de ne se raser que le jour de la mort d'Um Nyobé, mais aussi par la femme qui a été faite prisonnière dans la brousse de Ndog Niend, et par les derniers ralliés sortis depuis peu des maquis du quadrilatère. Depuis deux jours les sections savent où elles vont, et ce samedi matin, elles sont proches des fugitifs.                 

 

     Le cook attise, entre trois pierres, un modeste feu de bois. L'eau qui sourd au pied de la roche a servi aux femmes à faire cuire les tubercules du repas et a fourni aussi l'eau chaude pour la toilette du bébé. Les femmes sont debout autour du feu et, comme de coutume, elles se sont mises à l'écart pour ne pas participer aux discussions.  Les hommes sont tantôt debout tantôt accroupis selon l’intensité de la discussion, une discussion qui, depuis quelques mois, les oppose et les divise, et qui porte sur les ralliements désordonnés qui sont en cours. Ralliements qui affaiblissent dangereusement le parti et deviennent une menace directe pour le bureau politique. Excédé, Mayi Matip, qui, depuis la mise en place de la campagne dite de « réconciliation », tente en vain de convaincre Um Nyobé et Yem Mback d'accepter, enfin, les propositions

d'Ahidjo, cesse brusquement de discuter et s'enfonce dans le demi-jour moite de midi : départ qui installe sur le groupe un silence lourd de menaces.

 

Les femmes ont crié wette ! wette ! en entendant le bruit sourd d'une course dans le sous-bois, des halètements qui révèlent les pas rapides, dans une brouillasse qui les étouffe, des militaires qui débouchent en force au milieu du groupe : et c'est tout de suite la débandade sous les rafales des mitraillettes. Yem Mback, le

secrétaire, et Ngo Ruth, la mère de la concubine du leader, tombent les premiers, puis le cuisinier. La fusillade a fait bondir Ngo Njock Marie, la jeune mère, qui, avec son bébé dans les bras, a plongé dans la végétation qui dissimule l'entrée de la grotte, tandis que le pisteur barbu montre aux militaires Um Nyobé qui contourne, au même moment, l'entrée de l'abri et se trouve face à face avec le métis.

L'espace d'un éclair, le regard de l'un n'a pas fait baisser le regard de l'autre dans ce laps de temps que fige la peur dans le regard de l'homme qui doit tuer, ou dans le regard de l'homme qui voit la mort. Soudain pris de vertige à l'idée qu'il faut tuer un homme désarmé, en un éclair, le métis a choisi. Le M.A.C. 50 est resté muet au bout du bras tandis que Makon Luc hurle :

 

« C'est bien lui, donne-lui ! »

Pistolet automatique modèle 50 (1950) de la Manufacture d'armes de Châtellerault. Première arme'de poing réglementaire de l'armée française en calibre 9 millimètres parabellum, chargeur amovible de 9 cartouches.

 

Tire ! donne-lui la mon !

 

Un « sous-off » de l'Empire colonial, un grand Sara du Tchad, le rafale de sa « Sten » dans les reins de l’homme qui fuit à quinze pas droit devant lui : un homme qui se prenait'avec un regard un instant étonnant PUIS résigné : la balle du Blanc ne connaît pas le « gris-gris » du Noir et ne respecte rien même pas un leader « super blindé » L’ orage d'été, n'a duré que le temps de l’éclair et laissé les protagonistes du drame hébétés, les deux bras levés, dans un silence soudain qui les enveloppe en union avec les morts.

 

Um, nationaliste , c’est fini. Mort debout, fidèle à son idéal, ce samedi 13 septembre   1958. Son corps est tombé sur une terre qu'il aimait et pour une

cause qu il savait juste. Au fond de sa forêt natale, la balle du fusil a pris savie et la vie s'en est allée laissant le nom du tribun au peuple camerounais, mais aussi, et surtout, son idéal toujours vivant, jamais vaincu, porté par les trois lettres UPC, et partagé par un grand nombre de Camerounais qui vont reprendre un flam-

beau qui ne s'est jamais éteint depuis avril 1948 A travers la brousse, guidée par les pisteurs, la troupe a rejoint une piste de débardage des bois de la Société forestière d'Éséka et a chargé les corps sur un véhicule militaire tout terrain.

Cette mort va troubler une population qui reste attachée aux croyances du sorcier et des anciens de la contrée qui. tous, savaient le leader « super blindé » et  n'avaient jamais envisagé que la balle d'un fusil pût lui ôter la vie. Au fil des ans, au fur et à mesure que le tribun organisait la résistance aux autorités coloniales et aux gouvernements qu'elles avaient mis en place, le temps qui passait avait laissé croire aux Camerounais qui l'aimaient que, malgré le formidable déploiement de force qui avait été nécessaire pour réduire son maquis, personne ne pouvait lui prendre la vie. Il était déjà entré dans la légende : donc immortel. Au Cameroun, cette étiquette de « super blindé » collait à la peau du tribun depuis qu'il avait réussi à déjouer les premières attaques policières au début de son combat contre le colonialisme et pour l'indépendance. Les menaces répétées et les attentats de toutes sortes n'avaient pu l'abattre et avaient renforcé cette légende d'indestructibilité. Rien n'avait eu raison de sa détermination dans le triomphe de ses idées, détermination qu'amplifiait une rage de vaincre un système honni et faisait que tous considéraient sa mort comme improbable. Pourtant, au fond de la forêt, ce jour est arrivé : et les cris de fuser, les pleurs de jaillir... et les yeux de s'ouvrir sur la triste réalité du fait. Mais aujourd'hui, pour beaucoup encore, la mort de l'immortel a quelque chose d'irréel. Alors, comme souvent dans cette Afrique noire pleine de forces magiques et de pratiques secrètes, c'est vers le Blanc que les

Noirs se tournent pour trouver un témoin irréfutable devant l'Histoire : un témoin oculaire, un homme pour le dire . Ici, pour les villageois, il n'y a qu'un Blanc et ce Blanc est terrassier à la Razel Frères, l'entreprise qui travaille depuis des années dans le pays avec des hommes de ce pays, et pour eux, un terrassier est Mais pour le Noir, l'homme du peuple, ce titre traduit la vénération pour l'homme qui a su dire aux Camerounais, dès 1950, que l'indépendance est inéluctable, et la fin du colonialisme proche, pour l'homme qui a su faire partager par tout un peuple l'idéal qu'il représentait dans la lutte qu'il menait pour la liberté et le progrès, et qui a su défendre ces causes pour lesquelles il allait mourir.

 

Les militaires ont photographié le groupe « Razel » sur la plate-forme avec le 4 x 4 et puis tout près des suppliciés. Un groupe d'où n'est sorti aucun cri, même pas une plainte ; que des humm ?, humm ?, interrogatifs et incrédules qui se prolongent dans le véhicule sur le chemin du retour. À Makaï, l'arrêt est obligatoire devant la case du pisteur barbu qui fête l'événement. Pris dans un tourbillon de danses rythmées et de chants d'allégresse, tout le monde descend du 4 x 4 et commence à boire. À voir le stock de caisses de bière on peut dire que l'événement était bien prévu et attendu. Le barbu vient de se raser, la prime, il va la toucher et aux yeux des présents, ces millions (même trois même deux) imposent à tous un silence respectueux à l'écoute de son récit triomphant. Ce dimanche 21 septembre 1958, la mort du leader nationaliste fait les gros titres de la presse au Cameroun : « on apprend officiellement que le samedi 13 septembre, dans la région de Boumnyébel, au cours d'une patrouille de routine des forces de l'ordre, quatre rebelles ont trouvé la mort. Parmi eux, Ruben Um Nyobé et son secrétaire de la Section administrative-Bureau de liaison (SA/BL). La patrouille, composée d'un sergent et de quatre hommes, est arrivée dans leur refuge où se trouvaient six personnes, quatre hommes et deux femmes. Après les sommations de se rendre, ils ont essayé de prendre la fuite et quatre ont trouvé la mort. Des photos ont été prises par les militaires, sur les lieux et lors de l'inhumation, mais la presse n'a pas eu accès à cet événement ».

 

A la lecture de ce compte rendu « officiel », qui mentionne que la patrouille a bien vu six personnes dans le refuge, il n'est pas difficile de comprendre que la patrouille a été « amenée » sur place par quelques traîtres et chasseurs de primes, et qu'elle a attendu le départ de Mayi Matip Théodore pour ouvrir le feu sur le groupe, sans sommation et surtout sans pitié dans l'élimination de tous les témoins de cette trahison.

 

 C'est sur l'initiative des Autorités que s'est propagée la rumeur selon laquelle on attribuerait une prime de plusieurs millions de francs CFA à qui permettrait la capture du leader nationaliste. Quelques centaines de milliers de francs CFA (moins de 400000) seulement seront versés à Makon Luc (800000 ancien Francs).

C'est une chance pour nous, que la jeunesse agile de la concubine de Um lui ait permis, de traverser un rideau de balles qui n'a touché que le bébé aux membres inférieurs. Une promptitude qui vient de lui sauver la vie ce samedi 13 septembre 1958, mais aussi, en permettant son témoignage, nous garde aujourd'hui de l'ignorance et de l'oubli. Et, chacun, par des pleurs ou des chants, regrette ou célèbre ce dénouement national et même international. La mort du leader avait été en effet programmée dès son refus de rentrer dans la légalité lors de la mission officieuse de Monseigneur Mongo dans le maquis d'Um Nyobé, en octobre 1957 ; mission demandée par le Haut-commissaire Pierre Messmer à l'insu du Premier ministre d'alors, André-Marie Mbida. Depuis cette date, au fil des mois et des propositions faites pour amener le parti UPC dans la légalité, les Autorités françaises, et le gouvernement camerounais, avaient compris que la pierre d'achoppement au processus engagé depuis l'autonomie interne accordée par la France, le 10 mai 1957, était le leader en personne. Depuis la mise en place, par le gouvernement Ahidjo, d'une campagne dite de « réconciliation » au sein de l'ethnie bassa dans toute la Sanaga militaire, la mort d'Um Nyobé était devenue une sorte d'« hypothèque à lever». Une hypothèque que des civils, Noirs et aussi Blancs, viennent de faire lever par l'armée française dans sa forme la plus radicale qui est l'élimination physique.

 

Un homme vient « d'acheter » avec la « peau » d'un autre son retour à la vie légale suivant les propositions du gouvernement Ahidjo. Trahison qui provoque littéralement l'explosion du parti du peuple et qui met fin, en quelques jours, à la longue lutte des hommes qui avaient choisi de vivre libres dans la forêt bassa.

Dans le village regroupé, les femmes ont commencé à arracher les hautes palissades mais sans retourner à leurs anciennes plantations. La mise en terre des suppliciés du bureau politique de l'UPC, à Éséka, par la Mission de leur religion originelle, le lundi 15 septembre, à 15 heures pour Um, catholique et à regret pour Yem Mback, à la sauvette sitôt le corps rendu par l'armée, n'a pas supprimé, d'un coup, la peur qui régnait dans la contrée depuis des saisons ; encore que la suppression immédiate des barrières de contrôle tende à faire disparaître cette angoisse.

 

Partout, dans les anciens villages de brousse détruits et brûlés par l'armée, les chefs de canton, aidés des derniers ralliés par calcul aux propositions d'Ahidjo, recueillent à présent dans ces lieux, depuis la mort du tribun, des centaines d'hommes, et aussi des femmes, tous démoralisés par la longue traque des militaires, mais encore plus par le long silence inquiétant observé depuis des

semaines par Um Nyobé.

 

L'« hypothèque levée », la Sanaga militaire n'est plus. L'amnistie, que l'on dit accordée, est maintenant acceptée par la presque totalité des upécistes qui sortent de brousse : ceux qui  n'avaient pas suivi les premiers ralliés après le discours du Premier ministre André-Marie Mbida, le 9 novembre 1957 à Boumnyébel, et ceux qui avaient refusé de sortir avec les derniers ralliés de la campagne de « réconciliation ». Une amnistie supposée réelle, qui démobilise les derniers combattants de l'UPC et démilitarise tous les passages obligés, les ponts et les carrefours, et tous les points stratégiques autour des villes et des villages de la grande forêt bassa que l'armée vient enfin de rendre à la vie civile... en quittant ces lieux. En France, les proclamations du Général de Gaulle en faveur des pays de langue française apportent partout comme un souffle nouveau. Pour prendre l'avis et avoir l'appui de tous les Français, le Général soumet à un référendum un projet de Constitution le dimanche 28 septembre 1958.

 

Au Territoire, les Français libres mobilisent pour le « oui ». Dans les bureaux de vote, même les militaires africains sont mis à contribution pour la distribution d'office des « oui » aux électeurs !! Fraude inutile, les résultats ne pouvaient qu'être bons : ici tout le monde connaît le Général et nombreux sont ceux qui acceptent de le suivre. L'Afrique noire a fait bloc derrière l'homme de Brazzaville sauf Sékou Touré, de la Guinée, qui a dit qu'il préférait la pauvreté dans la liberté plutôt que l'opulence dans l'esclavage et qui fait aussitôt de son pays une république indépendante. À l'entreprise, on pense ànos amis, des anciens du Cameroun qui terminent en ce moment, en Guinée, la construction d'un tronçon de 53 kilomètres du chemin de fer Conakry - Pria (146 km), pour le compte de « Transfria », des « Travaux neufs » de la Compagnie de produits électrométallurgiques Péchiney France.

 

Des amis, des Blancs, mais avant tout des hommes responsables au sein d'une entreprise qui a fait de ses expatriés en Afrique une force au service de l'homme noir dans son pays. Pour des raisons de prestige personnel, et pour affirmer, sans nécessité, sa race noire et son pays africain, Sékou Touré vient de rompre avec la France. Mais il fait pire : il décide aussi de se passer des Français.

Dans un contexte difficile, les dirigeants du chantier tentent maintenant de replier vers le port de Conakry le matériel de production de l'entreprise. Puis, suivant l'ordre formel du patron, ordre intransigeant et immuable, et que l'entreprise applique toujours en pareilles circonstances : rien ne sera détruit, rien ne sera brûlé. Et le chef de village, et toute la population qui, avec force démonstrations bruyantes et grande joie, viennent de prendre « livraison » de la base et de son campement européen, remercient les dirigeants et le personnel de l'entreprise avec des corbeilles de fruits et autres vivres frais, mais aussi, et surtout, ils accompagnent « le cadeau de départ » avec des regrets que tous les Européens présents devinent sincères. Ce qui atténue un peu, pour eux, les embarras que crée cette brusque francophobie.

 

Au Cameroun, la mort du leader nationaliste a définitivement divisé L'UPC. Sitôt le leader nationaliste enterré, le 22 septembre Mayi Matip Théodore est sorti de brousse et a proposé à A. Ahidjo de créer, au Cameroun, l'UPC « légale » afin de contester toute représentativité à l'UPC « extérieure » qui, elle, reste fidèle aux idéaux du tribun et du président Félix Moumié. Le gouvernement Ahidjo et les Autorités françaises acceptent le principe de cette légalité avec Mayi Matip à sa tête. Ils sont encore inquiets de l'importance du mouvement insurrectionnel qu'ils découvrent avec l'apparition, ce mois d'octobre, d'un général longtemps recherché et de plusieurs commandants de colonne, qui sortent du maquis à la tête de près de quatre mille upécistes, et avec le rayonnement qu'ont toujours les idées du tribun qui ont conquis le cœur et l'âme de dizaines de milliers de Camerounais jeunes et volontaires, et gagné de force l'indépendance, en partie grâce à la lutte qu'ils ont menée. Après le 13 mai 1958, Jacques Foccard, conseiller du Général

aux Affaires africaines, avait soutenu, auprès de l'Elysée, la demande d'Ahmadou Ahidjo de la mise en place d'un processus comportant l'indépendance du Territoire. L'« hypothèque levée » a débloqué une situation qui paralysait ce processus.

 

Le 24 octobre 1958, A. Ahidjo fait adopter par l'Assemblée législative camerounaise, l'Alcam, une résolution demandant l'abrogation de l'Accord de tutelle qui va permettre de proclamer l'indépendance et que l'Alcam demande pour le 1er janvier 1960. Cette résolution, la France la fait parvenir aussitôt à l'ONU qui décide l'envoi d'une mission de visite au Cameroun.

 

À son arrivée en France, la dernière semaine d'octobre 1958, la mission de visite est reçue par le ministre de la France d'Outre-mer, rue Oudinot à Paris. Cette mission, présidée par Benjamin Geryg, des U.S.A., comprend un représentant de Haïti, de l'Inde et de la Nouvelle-Zélande. La Mission Geryg arrive au Territoire, à Yaoundé, le 14 novembre ; elle vient du Cameroun britannique. Dès le lendemain, les Autorités font savoir à la population qu'aucun Camerounais se réclamant des mouvements UPC ne sera autorisé à solliciter une audience auprès de la Mission ni même à lui remettre une pétition écrite : un procédé abject, mais toujours usité envers les upécistes pour leur dénier encore une quelconque influence ou représentativité. De ce fait, seules les victimes imputées au «terrorisme upéciste » vont avoir la possibilité de s'exprimer, et surtout de se

plaindre, auprès de la Mission à qui elles demandent secours financiers et compensations pour tous les préjudices subis, plus un juste châtiment pour les crimes commis, et le pardon pour les repentis.

 

La délégation du Conseil de tutelle de l'ONU arrive à Douala. Son drapeau bleu flotte déjà sur le palais du Gouvernement et aussi au fronton de l'Akwa-Palace. En ville, les pétitionnaires upécistes font circuler des tracts. Aussi le Haussaire a-t-il déclenché une mise en alerte de la force publique avec interdiction de rassemblement dans la rue. En ce mercredi matin du 26 novembre, des centaines de manifestants tentent d'arrêter la Mission sur la route Razel à l'entrée de la ville. Ils veulent présenter et faire valoir leurs revendications : sans résultat. Ce refus suscite la colère d'un bon millier de personnes, des jeunes pour la plupart, qui décident, en manifestant bruyamment, de suivre le cortège et déboulent à la salle des Fêtes d'Akwa, avenue Bonnecarrère, où ils sont « attendus » et où ils refusent de se disperser sans avoir été entendus par la Délégation

onusienne. Les ordres hurlés déclenchent aussitôt l'échauffourée : un manifestant est tué, deux gendarmes européens grièvement blessés, et un garde camerounais blessé va mourir à l'hôpital Laquintinie. Le Haussaire fait aussitôt placarder des affiches pour annoncer le couvre-feu à partir de ce soir 21 heures. L'hélicoptère qui tourne inlassablement sur la ville depuis deux jours, reçoit, le jeudi matin, le renfort d'un « Broussard » qui fait un rase-motte bruyant sur New-Bell. Ce déploiement inconsidéré de forces répressives dans la ville et l'interdiction faite à une majorité de la population de ne pouvoir approcher librement la Mission Geryg. a fait surgir, de cette majorité paisible des manifestants réagissant violemment à ces brimades mais sans que la Mission daigne ouvrir les yeux pour comprendre et chercher l'origine de ce profond malaise.

 

La Mission Geryg, lors de la consultation des populations du Nord-Cameroun, n'a pas eu à supporter cette contestation, m à fermer les yeux ou à détourner la tête. Le parti du Premier ministre et ministre de l'Intérieur A. Ahidjo, l'UC, (l'Union camerounaise) devenue parti politique depuis le 12 juillet 1958, a tait acclamer partout la mission onusienne dans des régions où règnent en maître un sultan ou un lamido, des chefs traditionnels ou coutumiers, tous inquiets pour leurs privilèges qu'ils jugent menacés par les mouvements progressistes du Sud. Mais cette inquiétude sera de courte durée, le nouveau statut qui entrera en vigueur le 1er janvier 1959. stipule en son article 20 que « les chefferies traditionnelles ou coutumières telles qu elles existent au Cameroun sont garanties ». Cette visite de la Mission Geryg a mis en évidence le travail en profondeur du parti politique de l'Union camerounaise : une force montante au seul service du gouvernement. Aussi, bon nombre de personnages importants, ou influents, l'ont compris et sont devenus aussitôt des sympathisants agissants. Max Holste 1521 M « Broussard ». Avion de liaison et d observation qui équipe en particulier 1-A.L.A.T. (aviation légère de l'année de terre). Monomoteur de 450 CV, vitesse maxi 270 km/h, charge utile 970 kg.

 

 

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